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Tension aux antipodes. À une grosse semaine du début des régates de la Prada Cup, soit la série de régates qui va permettre de sélectionner le challenger de la 36e édition de l’America’s Cup, les trois concurrents en lice ont désormais épuisé la plus précieuse de toutes leurs ressources : le temps…

American Magic face à Ineos Team UK, les Anglais ont pris d’excellents départs. | GILLES MARTIN-RAGET

Gilles MARTIN-RAGET.Publié le 06/01/2021 à 16h21

Fini de tergiverser, de tester, de préparer, d’améliorer, de peaufiner, maintenant il va falloir régater, gagner des courses, marquer des points.

Ce qui n’empêche pas de continuer à faire progresser les hommes et la machine, c’est même tout le but du jeu dans l’optique d’une victoire finale, mais c’est autrement plus difficile à réaliser quand un calendrier de course occupe une partie du temps, des énergies et des ressources techniques et humaines.

En revanche, cela a l’avantage – certes temporaire – de mieux cerner l’objectif, à savoir les forces et les faiblesses de la concurrence et d’adapter ses actifs en conséquence.

Luna Rossa face à American Magic. | GILLES MARTIN-RAGET

Mais avec ces nouveaux monocoques à foils si complexes et toujours prêts à tomber en panne, rester en état de régater et naviguer au plus près des polaires de vitesse est déjà un immense challenge. Alors quand il y a un adversaire à côté, c’est le défi ultime permanent.

Ineos Team Uk dans sa version la plus récente. | GILLES MARTIN-RAGET

Pour preuve de cette fébrilité contenue, les trois équipes n’ont quasiment pas pris de break pour les fêtes de fin d’année. Que ce soit pour installer des améliorations matérielles ou peaufiner des techniques de navigation, personne n’a baissé les bras, au contraire.

Les « shore teams » notamment ont dû sortir leurs tripes pour arriver à livrer à temps les dernières modifications préparées par les designs teams durant les semaines précédentes.

Ineos Team UK face à Luna Rossa durant les régates des AC World Series disputées en décembre 2020. | GILLES MARTIN-RAGET

L’équipe anglaise Ineos Team UK est certainement celle qui avait le plus de pression et le plus de travail.

Après leur mauvaise prestation durant les AC World Series disputées en décembre qui ont révélé un manque de performance total en dessous de 10 nœuds de vent, les Anglais ont été devant l’obligation de trouver des solutions sous peine d’être les premiers renvoyés à la maison.

Les observateurs se perdent en conjectures devant les raisons d’un tel déficit de vitesse que Ben Ainslie évalue lui-même à environ 20 %, ce qui, à ce niveau de compétition, est galactique.

Le talent ne manque pas dans l’équipe anglaise, ni l’expérience, ni les moyens, et on ne voit pas pourquoi les concepteurs de Britannia ne se seraient pas posé les mêmes questions et n’auraient pas trouvé les mêmes réponses que leurs concurrents.

Ineos Team UK a ressorti une version précédente de ses foils pour tenter de trouver des solutions à son problème de décollage dans le petit temps. | GILLES MARTIN-RAGET

Certes, à chaque fois qu’apparaît une nouvelle classe, il y a de grandes différences entre ceux qui visent juste et ceux qui tirent du mauvais côté, mais les énormes progrès des outils de prédiction et l’augmentation exponentielle des moyens de calcul auraient normalement dû permettre de réduire ces écarts.

À moins que… Les outils eux-mêmes, qui sont développés et améliorés en interne, ne sont-ils pas la raison de ce loupé de départ ? La question reste entière. Quant aux réponses, on les aura plus tard.

Emirates Team New Zealand sur sa base avant une sortie d’entraînement début janvier 2021. | GILLES MARTIN-RAGET

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Quoi qu’il en soit, les Anglais ont évité de tout casser pour tenter de trouver la parade, du genre refaire un fond de coque pour adoucir des formes qui sont nettement plus torturées que celles de la concurrence.

Il est peu probable qu’ils en aient eu temps d’une approche aussi radicale.

Au contraire, ils ont été ceux qui ont le plus navigué durant le break de fin d’année, avec une configuration de foil dissymétrique.

L’avenir dira s’ils ont réussi à trouver un ensemble de solutions satisfaisantes.

Le nouveau carénage de Luna Rossa destiné à améliorer l’écoulement de l’air autour de l’équipage. | GILLES MARTIN-RAGET

Chez Luna Rossa, la modification la plus visible est ce carénage ajouté sur le pont autour des cockpits qui permet de lisser l’écoulement de l’air autour de l’équipage, une solution poussée de manière radicale sur l’épouvantail Emirates Team New Zealand dès sa conception.

Adieu l’équipage italien qui part à fond de cale, on ne verra plus désormais émerger que les têtes de Jimmy Spithill et de Francesco Bruni qui se partagent l’honneur de barrer et de régler en vol le challengeur italien sans changer de côté après chaque virement ou empannage.

Un choix effectué il y a déjà longtemps par les Italiens qui pourraient s’avérer décisif en cas de combat rapproché.

En effet, il n’est pas certain que se passer à la fois du barreur et du contrôleur de vol pendant la poignée de secondes cruciales qui intervient au moment de la relance soit le meilleur choix à terme.

Les Italiens ont pu enchaîner quelques belles journées d’entraînement dans la brise juste après Noël, soit les conditions dans lesquelles ils semblaient moins à l’aise, au portant notamment.

Mais comme ils ont toujours performé dans les vents moins soutenus, toute la question reste de savoir ce qu’ils auront dû lâcher d’un côté pour le récupérer de l’autre.

Là encore, les premières régates des rounds robin de la Prada Cup permettront d’en savoir plus.

Plaque d’écoulement rajoutée sur le « pod » d’American Magic. | GILLES MARTIN-RAGET

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Côté américain, on sent une certaine force tranquille, bien que les jours fériés aient compté pour du beurre également dans la seule équipe qui a réussi à battre toutes les autres au moins une fois, y compris Team New Zealand, en décembre 2020.

Les architectes du New York Yacht Club ont fait installer durant les fêtes une prolongation au-dessous du centre de la coque destinée à mieux canaliser les courants d’air qui auraient tendance à passer sous le bateau quand il est lancé à pleine vitesse, améliorant ainsi l’effet de plaque de l’ensemble coque gréement.

Ce point technique semble une donnée vitale pour la performance et on sent que toutes les équipes n’ont de cesse de travailler la question, accompagnée pour les équipages de l’obligation de voler « bas », soit le plus près possible de l’eau.

Comme leurs adversaires, Terry Hutchinson (qui occupe le poste de skipper/ tacticien/ wincheur) à bord et ses hommes ont travaillé leurs voiles qui, à l’inverse de la concurrence fournie par North Sails, sont signées Quantum, Harp Faust, l’un des trois armateurs du défi américain (avec Doug De Vos et Roger Penske) étant le propriétaire de cette voilerie.

American Magic version 2021 à l’entraînement avec son « pod » rallongé. | GILLES MARTIN-RAGET

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cameras fixées au sommet du mât d’Emirates Team New Zealand pour filmer les profils de voile. | GILLES MARTIN-RAGET

Et Team New Zealand dans tout ça ?

Ces messieurs les Kiwis ont impressionné et dominé la concurrence en décembre, et ils sont également ceux qui ont le plus de temps devant eux puisqu’ils ne régatent pas avant le 6 mars, date du début du match final.

Donc ce sont eux qui ont eu droit au break le plus long (presque dix jours !).

Les dernières navigations de 2020 et les premières de 2021 les ont vues tester dès que possible l’emploi d’un code zéro. Peut-être que cela ne débouchera sur rien, mais au moins ils auront essayé plus longtemps et plus sereinement que les challengers qui ont le nez sur leur calendrier de course.

Évidemment leur problème reste le manque de régates d’ici la finale, d’autant plus que les AC World Series ont montré un petit moins en matière de départs dans le clan kiwi.

Mais, finalement, quand on a autant de bateaux d’assistance surpuissants sous la main, serait-ce si difficile d’équiper l’un d’eux d’un pilote automatique qui aurait avalé les polaires de l’AC75 à foil, puis de lui demander de servir de sparring-partner idéal, qui naviguerait toujours aux vitesses et caps cibles, suivant les mêmes trajectoires de virement et d’empannage, relances comprises, en fonction du vent réel, quitte à faire prendre les décisions tactiques d’un être humain ? Etc.

Il ne manque pas de personnel qualifié dans l’équipe kiwi, n’est-ce pas monsieur Ray Davies ?

Mais la tactique étant devenue relativement basique, on peut bien imaginer qu’un ordinateur serait tout à fait capable de prendre les bonnes décisions, c’est toujours plus simple qu’un jeu d’échec.

Et puis, finalement, n’est-ce pas le genre de logiciel installé dans les simulateurs dont toutes les équipes font grand usage, les Kiwis les premiers ?

Bon, ce n’est pas avéré, mais à force de voir les kiwis s’entraîner, on ne peut empêcher cette idée farfelue de naître. Régater contre son tender, finalement, à quelques tonnes d’essence près, que peut-on imaginer de mieux ?

À suivre !

Luna Rossa Prada Pirelli à l’entraînement avec son nouveau carénage de cockpit. | GILLES MARTIN-RAGET

COUPE DE L’AMERICA FOILER 75 AUCKLAND LUNA ROSSA TEAM NEW ZEALAND