Publié le 31/10/2020
Paris, le samedi 31 octobre 2020 – Une nouvelle période de confinement a débuté en France ce vendredi. La mesure a été présentée comme inévitable par le Président de la République, en raison de la situation actuelle dans les hôpitaux, qui seront très probablement soumis à une pression plus forte dans les prochaines semaines compte tenu de la rapide progression du nombre de contaminations, que reflètent les résultats des dépistages par RT-PCR.
La deuxième vague, mille fois annoncée pendant l’été bien que les chiffres d’hospitalisation et de décès demeuraient très bas, puis redoutée à la rentrée compte tenu de signaux inquiétants, encore discutée en septembre, est là et ne peut plus être niée.
Le tort d’avoir raison trop tôt ?
A l’instar du premier confinement, beaucoup s’interrogent. Aurait-il été possible d’éviter cette deuxième vague ou tout au moins les mesures très restrictives qui s’imposent aujourd’hui ?
Les nombreux experts qui dès le lendemain de la levée du confinement ont régulièrement prévenu du risque d’une deuxième vague et qui ont d’abord été moqués pour leur pusillanimité ne peuvent que constater, parfois avec regret, que leurs prédictions se sont avérées fondées.
Faut-il cependant considérer qu’ils avaient raison trop tôt où que leur raisonnement a fini par se révéler justifié dans un second temps ?
Riposte trop graduée
Ainsi, l’heure, semble être à la recherche, vaine sans doute, des responsabilités. Le gouvernement est en première ligne dans cette quête. Ce dernier se dédouane en observant :
« Tout le monde avait intégré le risque d’une deuxième vague, mais personne n’avait prévu une flambée si violente et si rapide » s’est par exemple défendu le Premier ministre, Jean Castex.
Pourtant, dès la mi-septembre, certains épidémiologistes, dont Catherine Hill, présentaient des projections qui sont assez proches de la situation actuelle. Cependant, la nécessité de conserver des distances avec certaines modélisations pouvait être également une leçon légitimement retenue des premières heures de l’épidémie.
Par ailleurs, si l’on peut reprocher au gouvernement un défaut d’anticipation, on ne peut complètement critiquer sa volonté de reprendre une vie économique et sociale plus proche de la normale et d’avoir arbitré entre les enjeux sanitaires et les autres considérations également très importantes.
Enfin, l’inefficacité des mesures qui ont été prises ne doit pas faire oublier que la vigilance des pouvoirs publics est demeurée soutenue tout au long des derniers mois, quels qu’aient été les chiffres de mortalité.
« Oui, le gouvernement était raisonnable en voulant une riposte graduée : dès le 20 juillet 2020, obligation du port du masque dans les endroits confinés. Mais pourquoi ne pas l’avoir imposé dès la sortie du confinement, en mai ?
En fin août, ce fut l’obligation du port du masque même à l’extérieur dans certaines villes.
Et les nouvelles mesures n’ont cessé de se durcir durant le mois de septembre, fermeture des bars, puis couvre-feu il y a deux semaines. Mais chaque fois, c’est le risque de la riposte graduée, on arrive avec un coup de retard », remarque Sylvain Rakotoarison sur son blog hebergé par Agora Vox.
Des outils dévoyés
Néanmoins, des critiques concernant le gouvernement peuvent concerner sa mauvaise utilisation des outils à sa disposition. D’abord, des contre-vérités ont une nouvelle fois été énoncées concernant nos capacités hospitalières. Les « 12 000 lits » de soins intensifs évoqués par Olivier Véran en septembre et qui ont suscité un étonnement de la plupart des observateurs ne correspondaient en réalité nullement aux ressources réelles, mais aux capacités mobilisables à condition une nouvelle fois de déprogrammer nombre de nos autres activités de soins.
Ce leurre a constitué un manque de transparence certain. Plus encore, les décisions des pouvoirs publics et d’abord celles du Président de la République ont rendu inopérantes notre stratégie de dépistage. « Le tout-quantitatif a condamné à l’échec la politique de tests, et donc toute possibilité de localiser l’ennemi. On mène la guerre sanitaire à l’aveugle. Face à l’échec, il ne reste plus que les mesures non sanitaires les plus dommageables économiquement et socialement pour endiguer les contaminations » écrit l’économiste Frédéric Bizard dans les colonnes du Monde.
Ce dernier se montre très critique vis-à-vis du gouvernement, mais estime que la responsabilité va au-delà du seul pouvoir actuel.
« Rien de tout cela n’est dû au hasard. La responsabilité de cette décadence de l’Etat sanitaire est collective et partagée par tous les pouvoirs, et donc par tous les citoyens depuis trente ans.
Cependant, la continuité de l’incurie politique en santé, au cœur d’une crise si grave, interpelle d’autant plus que l’État a globalement bien géré à ce stade les aspects économiques et sociaux. (…) L’hôpital est l’emblème de cette incurie.
L’année 2020 est marquée par le franchissement du cap des 100 milliards d’euros de dépenses hospitalières totales, soit une part de PIB (4 %) la plus élevée des pays développés comparables. Malgré cela, l’hôpital est dans une situation plus fragile en octobre qu’en mars. Alors que nous sommes montés à 12 000 lits de réanimation en mars, en octobre, les 5 700 lits permanents ne pourront pas être augmentés, sans risque de perte de chance pour des patients atteints de maladies autres que le Covid-19 et dont les opérations sont urgentes.
Le Ségur de la santé devait être la réponse de l’Etat à la crise du système sanitaire. La seule réponse a été budgétaire, avec une rallonge de 8 milliards d’euros de rémunération du personnel, disséminée sur 1,5 million de personnels, donc à très faible impact individuel et sans distinction soignant/administratif. Toujours le vœu, l’incantation qu’avec une telle somme le personnel acceptera de travailler dans un environnement dégradé et avec une pénurie d’équipements.
Vous avez bien lu, malgré 100 milliards d’euros de dépenses, le personnel manque même de gants et de blouses pour travailler, exploit de gestion de la dictature technocratico-médicale. L’organisation institutionnelle de notre santé publique, dispersée dans une multitude d’agences, a montré son impotence mais on n’y touche surtout pas » dénonce-t-il.
Ceux qui ont trop dansé…
Si la responsabilité de l’État et du gouvernement est commentée par beaucoup, certains invitent à ne pas sous-estimer le rôle joué par nos agissements individuels. De fait, sans liens sociaux, sans rencontres, sans échanges, le virus ne circule pas.
Il n’en fallait pas plus à beaucoup d’éditorialistes tout au long de la semaine pour fustiger les relâchements des uns et des autres, notamment pendant l’été et d’épingler ceux qui ont voulu continuer à faire la fête ou tout simplement à embrasser leurs parents ou leurs petits-enfants. Cette auto-flagellation complaisante suscite quelques crispations.
Ainsi, alors que le journaliste Patrick Cohen a dans un éditorial sur France 5 fait l’énumération de nos comportements égoïstes délétères, certains lui ont répondu :
« En complet désaccord. Une stratégie de prévention ne repose pas sur des comportements individuels. On ne peut pas avoir un pilotage de la stratégie comme c’est fait, aucun soutien en politique sociale, et se plaindre que les Français fassent n’importe quoi.
On sait que « demander aux employeurs de faire le maximum pour favoriser le télétravail », c’est pas la même chose que de l’obliger et de le faire contrôler par des inspecteurs du travail. Dire aux gens de s’isoler en cas de symptômes quand il y a de la précarité, des jours de carence, ça n’a pas la même efficacité que d’avoir des dispositifs sociaux forts et lisibles pour cela. Les équipes de contact traçing, ce n’est pas les comportements individuels qui les mettent en place Etc. etc.
On ne peut pas briguer le titre de « responsable politique » et ensuite dire, « ouais mais c’est pas de notre faute », fustige par exemple le docteur Quentin Durand-Moreau (Université d’Alberta).
Sylvain Rakotoarison ajoute pour sa part : « C’est un discours qu’on entend pas mal en ce moment. Oui, les « gens » se sont relâchés, cet été, ont cru que l’épidémie était finie, et à cause d’eux, car il y a un lien de causalité qui est un lien de responsabilité, dans l’idée, la seconde vague arrive, et grandement.
Eh bien, je trouve que c’est doublement injuste. D’une part, j’ai trouvé, en France du moins, que les « gens » ont, au contraire, été très raisonnables. D’abord lors du confinement du printemps qui a été très largement respecté. Ensuite lors du déconfinement et à chaque nouvelle mesure sanitaire, les Français les ont généralement appliquées, même si parfois, ils ont râlé, ils sont restés dans les faits raisonnables (après tout, qu’importe de dire non et de faire oui, c’est le résultat qui compte).
Je trouve d’ailleurs que les pouvoirs publics n’insistent pas assez sur la bienveillance et l’esprit collectif des Français, peut-être parce que cela étonne tellement qu’on ne le voit pas, trop habitué aux préjugés qui n’ont plus cours. D’autre part, si effectivement il y a eu une minorité d’insouciants, de gens plutôt jeunes qui faisaient la fête l’été, cela n’explique pas d’une part, pourquoi il n’y a eu aucune recrudescence en été ni, d’autre part, pourquoi la seconde vague arrive aussi violemment à la figure en octobre. Je reste avec mon analogie qui mêle de la même manière liberté individuelle et sécurité collective, le code de la route.
Les automobilistes respectent dans leur grande majorité les limitations de vitesse, la preuve, c’est qu’une très grande proportion a gardé tous les points du permis de conduire (ce qui ne les empêche pas de râler contre certaines de ces limitations, évidemment), et il y a toujours un petit pourcentage de fous du volant, de chauffards qui, quoi qu’on fasse, ne respecteront pas le code de la route, mais malgré leur existence, cela n’a pas empêché de réduire de 17 000 à 3 000 le nombre de morts sur les routes chaque année.
Ces « chauffards » de la route, ce sont les fêtards du coronavirus : leur existence reste très minoritaire ».
On peut par ailleurs observer ces comportements avec une indulgence existentielle en se rappelant que même toutes les protections du monde, tous les masques, ne permettent pas d’éviter la mort, qu’elle soit provoquée par une infection ou une toute autre pathologie et qu’il y a dans la persistance de la fête malgré les menaces épidémiques ou terroristes, une conscience, une acceptation de cette fragilité et un désir de profiter de ce qu’apporte la vie, malgré les menaces inévitables.
La désinformation tuerait, mais qu’est-ce que la désinformation ?
Dans cette recherche du coupable idéal, les médias, un temps accusés, pendant le confinement, d’avoir été trop alarmistes, d’avoir cédé à une fascination macabre pour le décompte des morts, sont une nouvelle fois montrés du doigt pour avoir ouvert leurs antennes et leurs colonnes à des voix discordantes.
Dans un éditorial très sévère, le journal Numerama énonce : « Un changement dans les modalités d’invitation des « experts » sur certains plateaux de télé doit avoir lieu urgemment, pour faire cesser la diffusion de discours fallacieux, trompeurs et complotistes. C’est le devoir d’information qui est en jeu. En pleine crise sanitaire liée au coronavirus, la notion de responsabilité au sein des médias prend tout son sens.
Les informations que nous partageons, et la façon dont nous les présentons, ont un impact important. Un seul article ou reportage ne va pas changer la face de l’épidémie, mais lorsqu’une même information est reprise et répétée, cela génère une narration.
C’est ainsi, par exemple, que des études scientifiques peuvent être mal comprises au début puis, à force d’être diffusées de manière tronquée, générer une idée reçue (c’est le cas pour la mutation du coronavirus, qui a été souvent mal présentée). Or, chaque idée reçue, chaque fausse information, chaque discours fallacieux représente un risque supplémentaire pour les vies humaines (…) en trompant ou bien tout simplement ajoutant du flou à la situation ».
Nous, le JIM, avons de nombreuses fois rappelé les risques que représentent pour l’information éclairée des Français le défaut d’esprit critique, la recherche du sensationnalisme, la méconnaissance de la démarche scientifique. Il faut cependant éviter que cette prise de conscience ne conduise à un excès inverse, par l’établissement de réflexes de censure, par le refus d’examiner ce qui va à l’encontre de la doxa.
A cet égard, tous les discours qualifiés de « rassuristes » ne semblent pas devoir être considérés comme équivalents, car certains se veulent fondés sur les faits. Bien plus certainement, la contradiction, mais la contradiction argumentée et qui évite les arguments convoquant principalement l’émotion (le drame des morts ou de l’épuisement des soignants) doit s’imposer.
Enfin, le rappel de l’importance de préserver nos libertés démocratiques, même en période de crise, semble indispensable, alors que la défense de la liberté d’expression est aujourd’hui, sur d’autres terrains, si ardemment menée.
Ainsi, on le voit, cette recherche des responsabilités, qui élude la possible cause principale de la deuxième vague qui est l’arrivée des températures froides (il est vrai prévisible) montre que le second confinement sera une nouvelle fois le théâtre de controverses, polémiques et réflexions contradictoires.
Une résistance comme une autre à l’ennui baudelairien.
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Ceux qui croyaient à la seconde vague et ceux qui n’y croyaient pas