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Dr Jean-Pierre Usdin AUTEURS ET DÉCLARATIONS  14 septembre 2018

Royaume-Uni — Prévenir la mort subite par arrêt cardiaque est un défi majeur auquel doivent faire face les médecins, tâche encore plus aiguë quand il s’agit de sportifs de haut niveau.

Un athlète s’écroulant brutalement au cours ou en dehors d’une compétition a un impact médiatique majeur.  Cet événement ô combien dramatique survenant chez un sujet jeune, en bonne santé, ayant un niveau d’entraînement excellent, surveillé au cordeau, conduit inévitablement à une des interrogations suivantes : comment a-t-il pu passer entre les mailles du filet du dépistage d’une affection vitale sous-jacente ? C’est ce qu’une équipe de chercheurs britanniques a voulu savoir en suivant plus de 10 000 jeunes footballeurs de l’English Football Association (FA) sur 20 ans. Les résultats ont été publiés dans le N Engl J Med[1].

Evaluation cardiaque pointue chez des jeunes footballeurs doués

Aneil Malhotra et coll. ont donc mené une étude visant à cerner l’incidence et les causes de la mort subite chez des adolescents promis à un bel avenir de footballeurs au Royaume-Uni. Avec l’aide de l’English Football Association (FA), les auteurs ont évalué et suivi 11 168 jeunes footballeurs pendant 20 ans, entre 1996 et 2016.

Les jeunes ont eu une expertise cardiologique performante associant un examen clinique, un ECG un échocardiogramme dont les résultats ont été appréciés par des cardiologues experts. Suivant le registre de la FA ils ont pu identifier les décès subits, et avoir accès aux résultats des autopsies réalisées dans tous les cas de décès cardiaques.

830 investigations supplémentaires, 42 ados à haut risque

Les adolescents étaient âgés de 16,4 ans en moyenne (95% de garçons). Sur les quelques 11 100 de la cohorte, 830 se sont vus prescrire des investigations supplémentaires : chez 42 adolescents (0,4% de la cohorte) il a été détecté une anomalie cardiaque pouvant être responsable d’un décès subit de cause cardiaque. Pour 225 (2%) des sujets explorés une anomalie congénitale (corrigée ou ne contre-indiquant pas le sport) a été découverte.

Chez les 42 adolescents à haut risque, 36 avaient un ECG anormal et 12 une échographie cardiaque anormale. Il s’agissait majoritairement d’un aspect de Wolf Parkinson White, d’une cardiomyopathie, ou d’un QT long, voire d’anomalie de naissance de la coronaire, ou encore d’anomalie valvulaire aortique sévère. Certaines anomalies ont pu être corrigées médicalement, chirurgicalement, permettant la poursuite du sport en compétition.  11 adolescents (8 cardiomyopathies, 3 syndrome QT long) ont été dissuadés de poursuivre une carrière sportive, il n’y a pas eu d’implantation de défibrillateur.

23 décès survenus au cours de l’étude dont 8 d’origine cardiaque

Sur un total de 23 décès, 8 décès de cause cardiaque (7 avaient une cardiomyopathie affirmée par l’autopsie), survenus en moyenne 7 ans après l’examen initial, ont été recensés.

Chez les 42 athlètes déclarés à haut risque de mort subite cardiaque, 2 sont décédés, les autres (90%) sont vivants à la fin de l’étude. Il y a donc 6 adolescents décédés (75%) chez lesquels il n’y avait pas de suspicion d’affection cardiaque léthale malgré les moyens mis en œuvre. La normalité du bilan a été confirmée a posteriori par deux experts des maladies héréditaires. « Pour un total de 118 351 personnes-années suivies pendant les 20 ans de l’étude. L’incidence des décès subits d’origine cardiaque chez ces adolescents footballeurs est de 1 pour 14 794 personnes/an ou 6,8 pour 100 000 athlètes » établit le Dr. A. Malhotra

Les autres décès (15) sont en rapport avec des accidents de la route (7) , des cancers (5), des overdoses (2) et un suicide. Aucun des adolescents ayant une affection congénitale révélée (éventuellement corrigée) par l’étude n’est décédé pendant cette période.

En termes de coût, les auteurs ont considéré après calcul que le montant des examens par adolescent revenait à 260£ (clinique, ECG, échocardiogramme) soit 2 870 000£ pour la cohorte. En ajoutant les 830 adolescents qui ont ensuite eu des examens supplémentaires (ECG d’effort, IRM…) le coût total s’est élevé à 3 245 000£.

L’incidence des décès subits d’origine cardiaque chez ces adolescents footballeurs est de 1 pour 14 794 personnes/an ou 6,8 pour 100 000 athlètes Dr. A. Malhotra

Au final, parmi les 8 jeunes décédés, 6 avaient des examens normaux, les 2 autres, qui avaient été dissuadés de la poursuite du sport, étaient dans le groupe de 42 adolescents qui avait une anomalie ECG (70%) ou échocardiographique (20%).  Il en résulte que 75% des adolescents victimes d’un décès subit de cause cardiaque ne sont pas détectés par ce dépistage pourtant de haut niveau clinique et technique. Pour le principal investigateur, cette étude révèle qu’« il existe clairement un défaut de sensibilité des ECG et des échos cardiaques en tout cas dans cette période de la vie. »

Il existe clairement un défaut de sensibilité des ECG et des échos cardiaques en tout cas dans cette période de la vieA. Malhotra.

Cardiomyopathies rares, masquées, conséquences dramatiques

Dans son analyse de l’étude publiée sur l’édition internationale de Medscape, le Dr John Mandrola  (Clinical Electrophysiologist, Baptist Medical Associates, Louisville, Kentucky) interrogeait : « cette [faible] incidence justifie-t-elle un dépistage de grande envergure qui écarterait des enfants faussement déclarés à risque, leur barrant une carrière sportive, sans oublier l’angoisse générée par la supposée maladie chez l’adolescent et sa famille ».

Pourquoi ne pas prendre le problème différemment et travailler en aval en formant, par exemple, aux manœuvres de réanimation ? « Si l’un des meilleurs centres au monde en médecine sportive est incapable de détecter la pathologie chez environ 75% de ceux qui sont décédés, devons-nous continuer à forcer parents et enfants à un dépistage obligatoire ? continuait le Dr Mandrola dans son article. Former aux manœuvres de réanimation et faciliter l’accès aux défibrillateurs automatiques à un plus grand nombre de participants me semblent constituer une meilleure réponse ».

Rentrée scolaire et certificat médical

Par le nombre d’adolescents évalués cette étude est aussi un remarquable inventaire de toutes les anomalies (atypies) cliniques, électriques, que nous découvrons quand il nous est demandé de rédiger un certificat médical pour la pratique d’un sport. Le praticien intéressé trouvera dans l’article les symptômes, bizarreries et autres incidentalomes plongeant la famille et nous-mêmes dans un doute légitime.

Pour en savoir plus :

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 L’étude a été financée par les institutions britanniques suivantes : English Football Association, Cardiac Risk in the Young, Charles Wolfson charitable trust.

L’ensemble des déclarations des auteurs figurent dans l’article du NEJM.

Le Dr John M. Mandrola a été un intervenant à l’occasion d’une réunion organisée par Medtronic, Inc.

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Citer cet article: Jeunes footballeurs : peut-on prévenir une mort subite par un meilleur dépistage ? – Medscape – 14 sept 2018.