suicideLe Quotidien du Médecin Crédit Photo : PHANIEZoom Coline Garré | 05.02.2018

Le taux de suicide fléchit en France (- 26 % entre 2003 et 2014), mais reste l’un des plus élevés en Europe, derrière les pays de l’Est, la Finlande et la Belgique, estime le troisième rapport de l’Observatoire national du suicide – créé en 2013 –, publié ce 5 février. La ministre de la Santé Agnès Buzyn a fait de la prévention du suicide l’un des axes de son plan d’actions pour la psychiatrie, dévoilé le 26 janvier dernier.

En métropole, en 2014, on recense un suicide toutes les heures, soit près de 24 décès par jour ; 8 885 décès par suicide ont été enregistrés par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-INSERM) – un chiffre sous-estimé, la réalité s’approchant davantage de 10 000 lit-on. Le précédent rapport de l’Observatoire national du suicide faisait état de 27 suicides par jour, et 9 715 décès en 2012. Les hommes restent trois fois plus nombreux à attenter à leurs jours (23,1 pour 1 000 000 vs 6,8 pour les femmes, pour un taux de suicide global de 14,9).

Le suicide touche principalement les hommes âgés (la tranche 45-54 ans puis au-delà de 74 ans) ; il est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, et représente 16 % des décès de cette tranche d’âge, et 20 % des décès chez les 25-34 ans.

Les modes de suicide les plus fréquents sont les pendaisons (57 %, en hausse), les armes à feu (12 %, en baisse), les médicaments (11 %) et les sauts dans le vide (7 %). Le rapport souligne des différences selon le sexe : les hommes recourent à plus de 60 % à la pendaison et à 16 % aux armes, tandis que les femmes se tournent vers la pendaison (42 %) les médicaments (24 %) et le saut (13 %). Certaines professions sont particulièrement à risque : les agriculteurs, et les surveillants de prison, lit-on.

Stabilisation des tentatives de suicide

En 2015, 78 128 patients ont été hospitalisés dans un service de médecine ou de chirurgie après une tentative de suicide, un chiffre qui se stabilise depuis 2013.

Les femmes sont sur-représentées, notamment les jeunes filles entre 15 et 19 ans (39 pour 10 000) et celles âgées de 45 à 49 ans (27 pour 10 000). Chez les hommes, les hospitalisations pour TS augmentent avec l’âge jusqu’à 40-44 ans (20 pour 10 000) et baissent ensuite.

La région Hauts-de-France déplore le plus haut taux d’hospitalisation à la suite d’une TS (30,7 pour 10 000 chez les femmes, 23,7 chez les hommes), à l’opposé de la Guadeloupe qui a les taux les plus bas.

Le suicide à l’adolescence, une priorité 

Les comportements suicidaires chez les jeunes sont une préoccupation majeure de santé publique, insiste le rapport. Selon les enquêtes ESCAPAD et ESPAD, 3 % des jeunes de 17 ans ont déclaré avoir déjà fait une TS, et un jeune sur dix dit avoir eu des pensées suicidaires. L’âge moyen à la première tentative est de 13,6 ans.

Le rapport met en évidence des conduites suicidaires différenciées selon le genre, avec un pic chez les jeunes filles de 15 à 19 ans, qu’on ne retrouve pas chez les garçons, chez qui s’observe une augmentation du nombre d’hospitalisations pour TS entre 10 et 24 ans. Selon le sociologue David Le Breton, la souffrance psychique des filles se traduirait par des plaintes et atteintes à leur corps dont les TS seraient une forme d’expression, tandis que les suicides des garçons s’inscriraient dans le prolongement des démonstrations de force par lesquelles ils expriment leur mal-être. Mais les études épidémiologiques manquent pour confirmer l’hypothèse.

Les évaluations des programmes de prévention du suicide des jeunes sont encore lacunaires, mais il semble important d’intervenir en milieu scolaire, en renforçant les compétences psychosociales des enfants dès 5 ou 6 ans, et en ciblant les adolescents à risque. Leur repérage peut se faire par l’utilisation d’un auto-questionnaire ou par la formation de « sentinelles » parmi le personnel scolaire. Autre piste : améliorer la réactivité et la bienveillance des élèves face à leur propre souffrance ou à celle de leurs pairs, et la communication entre jeunes et adultes.

Des actions proactives « d’aller vers » doivent être développées pour toucher les jeunes isolés. Les actions de veille, de recontact (comme Vigilans, que la ministre de la Santé a décidé de généraliser, dans son plan d’actions psychiatrie) et de prise en charge après une TS se sont révélées efficaces pour les jeunes en souffrance, comme pour les adultes.

Enfin, les applications de santé connectées pourraient ouvrir la voie à de nouvelles stratégies de prévention du suicide des jeunes, encourage le rapport.

Plus largement, l’Observatoire national du suicide préconise de soutenir la recherche sur l’épidémiologie du suicide des jeunes et sur les parcours de soins à la suite d’une TS. Des travaux doivent être menés pour mieux comprendre les facteurs du suicide, le rôle des réseaux sociaux dans la contagion et la protection des comportements suicidaires, les liens entre suicide et autres conduites à risque, et pour évaluer l’efficacité des dispositifs de prévention et détection du risque suicidaire.

Pour une prévention éthique du suicide

Le rapport de l’Observatoire national du suicide consacre un volet aux enjeux éthiques de la prévention du suicide. Les actions de prévention du suicide doivent concilier plusieurs principes éthiques qui peuvent se trouver en tension, comme le respect de l’autonomie (respect de la décision de la personne), le principe de bienfaisance et celui de non-malfaisance.

Que faire face à individu qui choisit la mort ? Ne pas intervenir au nom du respect de l’autonomie ? L’en empêcher, au nom d’une certaine idée de la bienfaisance, qui pourrait toucher au paternalisme ? Faut-il lever le secret médical et prodiguer des soins à des personnes suicidaires sans leur consentement ?

Dans son premier rapport, l’Observatoire considérait le suicide comme un choix par défaut lorsque les autres moyens de soulager une souffrance semblent inaccessibles. L’Observatoire réitère sa position et affiche sa conviction que la société se doit de proposer à ses membres d’autres options que le suicide, citant Maurice Halbwachs : « Le nombre des suicides peut être considéré comme une sorte d’indication thermométrique qui nous renseigne sur l’état des mœurs, sur la température morale d’un groupe. »

L’Observatoire prône la vigilance et encourage la recherche sur la posture de l’écoute dans les dispositifs d’aide à distance, la prévention dans l’urgence, et sur les liens entre législation sur la fin de vie et prévention du suicide.

Source : Lequotidiendumedecin.fr

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Suicide : des connaissances à approfondir pour améliorer la prévention

http://www.jim.fr/e-docs/00/02/98/3F/carac_photo_1.jpg Publié le 05/02/2018

Paris, le lundi 5 février 2018 – Chaque gouvernement, ou presque, fait de la prévention du suicide une « priorité ». Mais au-delà des déclarations d’intention, il s’agit d’un sujet difficile et délicat.  Notamment parce que peuvent entrer en contradiction le nécessaire respect de l’autonomie, l’inconditionnelle bienfaisance et l’objectif d’assurer la justice qui sont les « trois grands principes de bioéthique » rappelés par Nathalie Fourcade quand elle était sous-directrice de l’Observatoire de la santé et de l’assurance maladie à la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (DREES) lors de la séance plénière de l’Observatoire du suicide d’octobre 2016.

Améliorer le suivi des patients hospitalisés pour tentative de suicide

Consciente de ces enjeux, le ministre de la Santé souhaite cependant que la France, dont le taux de suicide, même s’il a reculé de 26 % entre 2003 et 2014, reste l’un des plus élevés de l’Union européenne (après les pays de l’Est, la Finlande et la Belgique) renforce sa prévention en la matière. Ainsi, a-t-elle fait part lors du récent congrès l’Encéphale qui se tenait à Paris de sa volonté de généraliser sur tout le territoire le dispositif Vigilans, un système testé dans le Nord qui concerne le suivi étroit des patients ayant été hospitalisés pour une tentative de suicide. Cette préconisation du ministre de la Santé est en lien avec celle du Conseil national de la santé mentale (CNSM) installé en octobre 2016, comme le signale un rapport de l’Observatoire du suicide publié aujourd’hui par la DREES. Les premiers travaux du CNSM insistent sur l’importance de « fixer des objectifs quantifiés de réduction du nombre de suicides et de tentatives de suicide ». Au-delà de ce principe général, ses « stratégies d’actions », sont outre le suivi des patients ayant été hospitalisés, déjà évoqué, l’amélioration des formations au repérage du risque suicidaire, le renforcement de l’information du public, la mise en place d’un numéro de prévention et la diminution de la possible contagion suicidaire (en travaillant notamment avec les médias).

Le numérique ne fait qu’appuyer des inégalités déjà présentes

Ce sujet de la contagion suicidaire a trouvé de nouvelles résonnances avec les réseaux sociaux. En grande partie consacrée à « l’état des lieux des connaissances sur le suicide des jeunes », le rapport de l’Observatoire relève que « Les outils numériques, notamment les réseaux sociaux, peuvent (…) dans certains cas jouer un rôle dans l’amplification du phénomène de « contagion » des risques suicidaires ». D’une manière générale, les « pratiques numériques » sont fortement ambivalentes et qui ne font qu’aggraver des disparités déjà observées. « Elles ont parfois pour effet de réduire la durée du sommeil [des adolescents], de diminuer leur activité physique et de surexposer aux médias, ce qui les prédispose fortement aux symptômes dépressifs et anxieux ainsi qu’aux idées suicidaires. De plus l’usage des technologies numériques semble creuser les inégalités entre les jeunes face au suicide. Il présente en effet un atout pour les adolescents allant bien et évoluant dans un environnement familial et scolaire sécurisant, mais il constitue un espace exposant les plus vulnérables à la souffrance et au risque suicidaire » relève l’Observatoire du suicide.

Cependant, tout en même temps, les outils numériques pourraient trouver une place dans la prévention. L’Observatoire estime ainsi que « les applications de santé connectée pourraient, par ailleurs, ouvrir la voie à de nouvelles stratégies (de prévention) du suicide des jeunes, en permettant d’aller à la rencontre des adolescents ». Le web est également un champ d’étude important en vue d’améliorer les pratiques de prévention. Ainsi, parmi les projets soutenus par l’Observatoire et l’Institut de recherche en santé publique (IReSP) figurent ceux de Romain Huët (Maître de conférence en sciences de la communication, université de Rennes 2) portant sur « l’analyse linguistique et textuelle des webchats de l’association d’écoute SOS Amitié. Cette recherche apporte une meilleure compréhension des mots utilisés par les appelants et de leurs attentes et sera utile pour améliorer la prévention ».

Mieux savoir pour mieux prévenir

Outre cet accent sur le suicide des jeunes, les travaux de l’Observatoire se sont également concentrés ces deux dernières années sur « l’amélioration du système de surveillance des suicides et des tentatives de suicide » , une meilleure connaissance du phénomène étant à la base d’une prévention plus efficace. On estime, on le sait, qu’un nombre important de suicides n’est pas recensé : les 8 885 décès comptabilisés en 2014 en France seraient ainsi sous-estimés de 10 %. Pour l’obtention de données plus précises et plus fiables, une enquête conduite par Santé publique France en collaboration avec des instituts médico-légaux et le CépiDc-Inserm a tenté d’ « identifier les freins à la transmission systématique au CépiDc de l’Inserm des résultat de l’investigation sur les circonstances d’un décès par ces instituts, en cas de mort suspecte. Celle-ci doit normalement se faire par la rédaction d’un deuxième certificat de décès (…). Il s’avère que peu d’instituts appliquent cette procédure, et encore moins de façon systématique. Cette enquête téléphonique a abouti à des propositions d’harmonisation et fournit des premiers éléments pour la mise en place de l’étude de faisabilité ». Dans le même ordre d’idée, un autre groupe de travail piloté également par Santé publique France a pour « objectif (…) d’améliorer la qualité du codage des tentatives de suicide grâce à l’action auprès des producteurs locaux de données ». La refonte du certificat de décès et l’accélération du déploiement du certificat électronique vont également dans le sens de cet objectif de connaissances plus fines.

Intervenir le plus tôt possible

En guise de recommandation pour les travaux à venir, l’Observatoire estime nécessaire de poursuivre les réflexions sur les enjeux éthiques de la prévention du suicide et sur la connaissance du phénomène chez les plus jeunes. Concernant ces derniers, « les réflexions doivent porter sur l’amélioration de la détection de la dépression et du risque suicidaire » insistent les auteurs du rapport. A cet égard, on retiendra que parmi les projets financés par l’Observatoire le docteur Erick Gokalsing (psychiatre) mène à la Réunion une évaluation destinée à mesurer la pertinence d’un « questionnaire court visant à repérer les adolescents à risque suicidaire qui entrent, pour tout motif, aux services d’urgence (…). Le questionnaire semble remplir son rôle, car il permet de repérer les jeunes qui ont besoin d’une évaluation psychiatrique complémentaire et éventuellement d’une prise en charge » relève le rapport. Ce dernier insiste encore sur l’importance des interventions en milieu scolaire et ce précocement, visant d’une part des effets à plus long terme et d’autre part parce qu’il apparaît que « les troubles des conduites et l’inadaptabilité sociale apparaissent plus précocement que par le passé, en particulier les violences contre soi ou contre les autres ».
Des enjeux et des sujets capitaux pour les soignants et les pouvoirs publics.

Aurélie Haroche

RÉFÉRENCE   : Rapport de l’Observatoire http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/ons3.pdf

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